(Article rédigé suite à un webinair d’Eliane Viennot et à la lecture de son ouvrage fondamental « Le langage inclusif, pourquoi, comment »)
Depuis maintenant plusieurs années, j’ai fait le choix d’utiliser l’écriture inclusive dans mes différents écrits et on le voit bien dans ce que mon entreprise, LUCE, propose.
Au fil du temps, j’ai pu recevoir des réactions très contrastées. Dernièrement, il m’a été dit que mon écriture était « pénible pour les yeux », ou « trop compliquée ». On me reproche parfois de « bousiller » la langue française, ou bien de vouloir « faire disparaître les hommes »… Tous les termes mis entre guillemets sont des citations !
A ceux-là, je réponds que, c’est vrai, c’est compliqué d’inclure… A fortiori d’inclure 52% de la population française, et 51% de la population mondiale !
Tout a recommencé dernièrement lorsque j’ai refusé de dire et d’écrire « la COVID 19 » car la raison invoquée par l’Académie est tout aussi bête, non pertinente, que les choix que cette structure fait depuis sa création en 1634 : le « d » de covid est « disease », traduit par « maladie », mot féminin… n’est-ce pas un peu capillo-tracté ? Laissons ces vieux messieurs, ce qui pendouille chez eux et les empêche de penser, à leur divagations masculino-séniles, et restons sur ce qu’on sait bien dire, sur l’usage : LE Covid !
Je ne savais pas que c’était « militant » que de vouloir écrire et parler ma langue maternelle en incluant la moitié de la population. Personne ne m’avait dit que je devais absolument considérer que le masculin l’emporte sur … ma propre identité.
Il ne s’agit pas, contrairement à ce que disent les conservateurs, de « féminiser » la langue française. Car, de fait, la langue française dispose déjà de tout ce qu’il faut pour exprimer le féminin. Le besoin n’est donc pas de modifier la langue, mais d’arrêter de réduire la place du féminin.
Les obstacles les plus importants à l’adoption du langage inclusif ne résident pas dans la langue, mais dans les fausses idées que nous avons de son fonctionnement et dans la méconnaissance de son histoire.
La langue française n’a pas besoin d’être féminisée
Depuis les années 80 on en parle en ces termes, notamment concernant les métiers. Il ne s’agit pas de modifier notre lange mais de renouer avec ses logiques initiales, celles d’avant la création de l’Académie française.
La langue française, comme toutes les langues romanes sauf le roumain, a perdu le ‘neutre’ que le latin possédait en plus du féminin et du masculin. Il servait à désigner les objets inanimés. Petit à petit il a disparu et donné les termes en français tels que : quelque chose, rien, ce, ça, ceci, cela, le « que » interrogatif (que vois-tu ?).
Les autres termes se sont rangés dans le féminin ou le masculin. Il ne s’agit donc plus en français de clivage entre vivant/inanimé, mais de placement qu’on appelle « arbitraire » dans le féminin ou le masculin : le soleil, la fatigue, une table, le ressentiment. Pour les animés, on dit que le genre est « motivé » : il a du sens par exemple pour un chien/une chienne mais encore plus que les termes différents selon le genre comme sœur/frère, génisse/veau.
Il n’existe donc pas de neutre en français, et contrairement à ce que l’on nous dit, nous démontre au quotidien ; le genre masculin n’est pas neutre
Le neutre a été réparti entre féminin et masculin.
Autre idée reçue : Les substantifs féminins ne viennent pas des substantifs masculins. Aussi, contrairement à ce que prône l’Académie, il n’existe pas de terme « rebelle à la féminisation » puisqu’il ne s’agit pas de féminiser ce qui serait, par essence masculin. Rien n’est pas essence, masculin, aucun métier ne l’est. C’est le fonctionnement patriarcal qui nous a conduit-e-s, femmes comme homme, à croire cela.
Concernant la règle de proximité, il s’agit en réalité de respecter la langue française, qui se trouve pragmatique au point d’accorder, initialement et naturellement, selon le terme de proximité : « ces pères et ces mères qui font profession d’être chrétiennes » (Pierre Nicole en 1670). Alors pourquoi ne pas respecter cet esprit de la langue ?
qu’en est-il des termes épicènes : du grec signifiant « possédé en commun » comme enfant, journaliste, dermatologue, mécène, ministre. Ils ne sont pas neutres, c’est leur environnement linguistique qui permet de désigner le genre (le ou la, un ou une). Ils ne rendent pas forcément service aux femmes puisque, sociologiquement, nous voyons derrière ces mots des hommes, pas des femmes, sauf pour les termes qui en eux-mêmes rapporteraient « logiquement » à des femmes (comme le terme féministe par exemple, ou encore gynécologue).
La domination du masculin sur le féminin ne date pas d’hier mais s’est largement accentuée en Occident avec la création des universités (XIIIe siècle) puis de l’imprimerie (fin du XVe siècle). Ces deux avancées ont permis d’accélérer la mainmise des hommes dans le monde public : création, estampillage d’experts qui pourront désormais diffuser la culture patriarcale par l’écrit aussi. Les hommes ont ainsi pu exister par l’écrit, et donc transmettre ce qu’ils sont, leur mainmise à travers les âges, effaçant par là-même les femmes, lesquelles n’ont alors accès ni à l’écrit, ni aux études, ni à aucune des avancées qui permettent d’exister au-delà de sa propre génération, de son propre territoire.
L’Académie s’est constituée comme une ‘police de la langue française’ et, clairement, le féminin n’en est pas la seule victime : on pensera aussi aux innovations de La Pléiade, contre les italianismes et les gasconismes, les simplifications orthographiques, etc, qui sont des exemples passionnants donnés par Eliane Viennot.
Mais alors, comment rendre son langage plus inclusif ? Me demanderez-vous.
Il s’agit avant tout de « s’émanciper sans états d’âme des usages absurdes » qui nous ont été transmis. Un travail de « décontamination » a commencé dans les années 1960 avec les doublets des politiques, puis dans les années 80 avec les circulaires ministérielles que les féministes ont obtenues.
concrètement, voilà quelques possibles :
- Utiliser tous les substantifs féminins de personnes
Toutes les activités humaines peuvent être nommées par le féminin et le masculin. A noter, la femme d’un Général que l’on appellerait « une Générale » est une usurpation : la Générale est un métier, pas une position via son conjoint.
Exemple :
Une médecine, une rectrice, une sergente, une soldate, une chercheuse.
- Renoncer à la tentation de l’élitisme
On peut comprendre que certaines femmes, enfin implantées dans des milieux qui se veulent encore très masculinisés et prestigieux, souhaitent garder des termes masculins comme « Madame le recteur ». Or, cela est du pur élitisme et il convient, afin de rendre le plus normale possible l’utilisation du féminin, de ne pas recréer de classe au sein même de nos institutions.
On utilise aussi une forme de féminisation qui reste très masculine à l’oral comme « chercheure » ou « défenseure ». Or cela tient d’une forme de compromis qui contribue à garder une forme masculine. Assumons « chercheuse », terme employé de toute façon tout le XXe siècle durant.
Ces deux exemples sont proposés par l’autrice Eliane Viennot qui nous montre par là-même que l’engament en faveur de l’égalité et de l’inclusion ne peut se contenter de penser que nous partons toutes d’un même territoire social et de faire fi de notre fonctionnement très pyramidal dans lesquelles certaines femmes sont parvenues à se faufiler, et, si soulagée d’avoir réussi, pourraient oublier leur propre réalité de femmes, justement.
- Doublet/double flexion
Il s’agira alors d’utiliser un terme en le plaçant au féminin puis au masculin.
Exemple : « Françaises, français » du Général de Gaulle
On utilisera de façon privilégiée l’ordre alphabétique pour savoir dans quel sens placer les termes : « l’arrivée des acteurs et des actrices » pour mettre à bas aussi la notion de galanterie, autre forme de sexisme bienveillant.
- Règle de l’accord de proximité
Aussi appelée de ‘voisinage’ ou de ‘contiguïté’. On accorde alors en genre, en nombre les mots qui précèdent ou suivent immédiatement le nom. Utilisée couramment jusqu’au XVIe siècle, attaquée dès le XVIIe.
Beauzée le disait clairement au XVIIIe siècle : « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Mais bien sûr…
Exemples : Les hommes et les femmes sont belles
Cette règle est aussi celle de la logique en fonction du sens : il s’agit alors de respect la valeur respective des différents signifiés de la phrase notamment dans une énumération.
Dans la phrase « deux cents petites filles, leurs sept institutrices et un chat sont morts dans l’incendie » on voit bien à quel point le féminin vaut bien peu… même quand il est en nombre !
- Le point médian
Qui a ceci d’intéressant qu’il ne porte rien de péjoratif comme le font les parenthèses (ce qui est entre parenthèse est moins important, passe en second plan) ou encore la barre oblique (qui implique une opposition entre les termes).
A noter il ne faut pas le doubler en cas de pluriel comme dans contemporain•e•s mais écrire contemporain•es. On écrira donc aussi amoureux•ses. Et voilà d’ailleurs une faute que nous commettons régulièrement quand nous écrivons.
Ce que nous pouvons dire pour conclure sur ce sujet passionnant et qui fait débat, c’est que les entreprises qui l’utilisent expriment le retour positif que leurs employé•es. elles et ils s’y font vite, en dehors de quelques réfractaires qui, finalement, sont surtout celleux qui ne savent pas bien de quoi il s’agit. la pédagogie est l’art de la répétition, certes, mais avant tout celui de bien expliquer !
On notera aussi que fut un temps où le français ne connaissait ni les deux points, le point-virgule, les points de suspension, le point d’exclamation, les cédilles, les accents circonflexes… et aujourd’hui que ferait-il sans eux ?
Ne pas se positionner, c’est laisser faire. Et le laisser faire qui contribue à empêcher l’égalité. On ne peut la décréter, il faut la travailler, la faire vivre.
Parler est un choix, personne ne nous y force. Nous sommes tou•tes les tenant•es et les responsables de l’avancée de l’égalité, petit à petit, dans notre société. Nous avons la force, rien qu’avec nos mots, nos pensées et nos bouches, d’accueillir, accompagner et promouvoir l’égalité. Il n’y a rien de compliqué, et l’action est immédiate. Petit à petit, par la simple action de parler, vous, moi, nous amenons les autres autour de nous vers plus d’égalité.
Parler de manière égalitaire et inégalité est un choix : à partir de maintenant vous pouvez CHOISIR !