… et me suis levée impostrice.

Mardi 1er décembre 2020, j’ai été invitée à animer un atelier-conférence pour Femmes et Numérique. Les co-organisateur-rices (ENI- Ecole Informatique, la CCI Métropolitaine Bretagne Ouest et la French Tech Brest+) souhaitaient pour cette troisième édition mettre en lumière la difficulté qu’éprouvent les femmes à pousser la porte d’écoles d’informatique. Pour rappel, elles représentent à l’heure actuelle à peine 12 % des effectifs dans les métiers dits de la tech et du digital.

Egaluce s’intéressant à la mise en place d’une égalité femmes/hommes réelle, notamment par le prisme de l’empowerment/empuissancement/empouvoirement féminin, les co-créateur-rices m’ont proposé d’intervenir.

Initialement, il s’agissait du syndrome de l’imposteur.

Cependant, rien qu’avec ce terme, on voit l’invisibilisation des femmes ! La première étape a été de féminiser ce mot, puisque j’allais m’adresser à des femmes.

Impostrice

Vous allez vous y faire !

On m’a d’ailleurs fait remarquer que ce terme n’existe pas dans la langue française… et pourtant !

On rappellera, comme ça, en passant, que l’Académie Française (institution misogyne depuis… 1634) a elle-même voté dans une large majorité un rapport visant à reconnaitre la féminisation des noms de métiers (février 2019). Cela faisait (presque) suite à un guide nommé « Femme, j’écris ton nom » édicté en 1999 par le Centre national de la recherche scientifique et l’Institut national de la langue française. Ce rapport (dont je vous invite à la lire la préface, rédigée par Lionel Jospin) nous invite à constater que la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions est non seulement possible, mais que l’on doit s’y appliquer. Si même nos institutions reconnaissent que cela est possible, et que cela irait dans le sens de l’histoire, pourquoi ne le ferions-nous pas pour tout ?!

Aussi, ici, nous parlerons aussi bien de syndrome de l’imposteur que de l’impostrice, afin de ne pas invisibiliser 52% de la population française, c’est-à-dire les femmes.

 

Voilà qui pourrait donc être un postulat de départ en nous permettant de prolonger la maxime de Boileau :

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ».

 

Autre point qui m’a conduite à la réflexion actuelle, c’est la conférence en elle-même. J’étais accompagnée d’Estelle Adam, responsable de l’ENI. Celle-ci m’avait prévenue qu’elle ne ferait qu’introduire le propos. Parce que mon métier consiste à dire à des femmes « vas-y, fonce, ose », parce que l’empowerment féminin est le socle philosophique et éthique sur lequel repose mon expertise, je l’ai poussée à faire plus. Nous devions -et je ne lui laissais pas le choix, co-animer cette rencontre !

Lorsqu’on voit les images, lorsqu’on entend notre échange, on pourrait penser que nous nous connaissons depuis toujours et que nous discutons, en toute sororité. Estelle, que je tiens à remercier ici encore, a été plus que parfaite : elle a été elle-même !

Au sortir de cette conférence, sur la route du retour, me revenait sans cesse une phrase qu’une personne avait écrite dans le chat de la conférence. Elle réalisait qu’elle souffrait bel et bien dudit syndrome, après avoir toujours pensé qu’il s’agissait de « réserve naturelle ».

La censure fait donc terriblement rage et, si nous n’y prenons pas garde,

elle peut venir mettre à mal nos parcours, nos projets, notre vie

Dans son livre, Sandi Mann[1] évoque une étude[2] faisant état d’environ 70% de la population souffrant de ce syndrome.

Est-il possible que ce soit si répandu et que nous en parlions si peu ? Comment, si cela est si souvent devant nos yeux, si souvent dans le parcours de celles et ceux qui nous entourent, pouvons-nous le laisser sous silence ?

Aussi, presque juste « pour voir » comme on dit, j’ai posté sur mon compte Facebook professionnel ainsi que sur mon compte engagé une story, proposant de témoigner, en message privé, sur le syndrome de l’imposteur/impostrice. Je n’ai pas souhaité expliquer le concept, pour ne pas ajouter de biais à cette étude déjà très informelle. J’ai fait le choix de ne pas genrer la question, afin d’avoir des réponses de toutes et tous.

En quelques heures plus de cinquante personnes osaient déjà prendre contact. Certain-es m’indiquaient même le nom de personnes susceptible selon eux de se sentir concernées.

Les questions posées sur un ton informel, presque badin, à dessein. Il semblait nécessaire de ne pas aseptyser le propos, de me positionner à côté des répondant. La première question concernait l’âge auquel le syndrome est apparu chez eux. Puis l’âge auquel ils en ont pris conscience. La troisième et la quatrième question sollicitaient des exemples de l’impact sur le parcours de vie des répondant-es ainsi que les regrets qui pourraient en découler. Enfin, parce qu’il semble nécessaire tout à la fois de ne pas dramatiser le propos, mais aussi de faire appel à la capacité d’auto-empouvoirement des répondant-es, j’ai demandé quels sont leur ressorts pour sortir de ce syndrome.

En tout, 150 personnes ont répondu aux cinq questions posées avant que je ferme l’appel à témoignages

Il se trouvait 128 femmes et 22 hommes. L’âge médian est de 46 ans.

Concernant la première question, les personnes ont majoritairement répondu dans le delta de l’adolescence : entre 12 et 15 ans. Ce temps d’évolution forte, tant au plan moteur, physique, esthétique, hormonal, social, éducatif, symbolique, est aussi généralement celui d’une première prise de conscience de l’intrication des différents modèles qui nous façonnent.

A la seconde question, le prisme de réponses est plus large comme on peut le voir sur cette modélisation :

La troisième question reposait sur l’impact de ce syndrome sur leur vie. Il va sans dire que les répondant-es à cette question n’ont pu qu’évoquer les réalités qu’ils ont observées. Une dizaine de personnes m’ont recontactée par la suite, expliquant avoir réfléchi depuis leur témoignage, et découvert d’autres points d’impact.

Il se passe toujours quelque chose quand les gens (se) parlent

De façon générale, beaucoup évoquent une notion d’angoisse. Et les raisons sont souvent assez paradoxales. Il y a pour certain-es l’angoisse d’être remarqué-e, mais tout autant que de ne pas l’être. Celle de paraitre « bête », « limité-e », « inintéressant-e », est aussi revenu régulièrement. Les angoisses concernent à la fois les capacités intellectuelles et physiques, mais aussi la capacité à recevoir des compliments -notamment sur le physique par exemple.

Le second terme générique, c’est celui d’oser. Et sur ce point, j’ai pu constater que ce syndrome de l’imposteur-rice a semble-t-il conduit des témoins à s’auto-censurer, et, de ce fait, à ne pas oser. D’autres au contraire considèrent que cela ne les a jamais empêché-es réellement d’oser, de faire suite à des propositions et de créer des projets. Cela s’accompagne cependant souvent du terme suivant « imposture »/ « arnaque ». C’est, là aussi, une des constantes des témoignages reçus. La grande majorité des témoins ont pu dire que lorsqu’elles et ils réussissent à oser et donc sortent d’une possible auto-censure, elles et ils minimisent leur succès, le relativisent soit en considérant avoir eu de la « chance », soit qu’en réalité il s’agit d’une situation d’imposture qui va conduire à la production d’une inquiétudee d’être démasqué-es. Ces personnes considèrent, alors même que, pour les exemples donnés, elles disposent généralement de données objectives de leurs succès, cela serait finalement dû à cette chance, et non à leur mérite.

« Je ne mérite pas cette réussite » est une phrase qui représente plutôt bien la plupart des réponses reçues

La dernière question concernait les « trucs », les astuces dont disposent les témoins pour travailler autour de ce syndrome de l’imposteur-rice.

Cette mini-étude fera en effet l’objet d’un dyptique, afin notamment de rendre femmage et hommage et à celles et à ceux qui ont osé répondre à mes questions. Il semble par ailleurs qu’il reste à objectiver les réponses transmises, faire le point sur ce qu’est le syndrome de l’imposteur-rice, et évoquer la spécificité du syndrome de l’impostrice.

Tout un programme !

Je tiens, pour terminer, à remercier tout particulièrement les personnes qui ont accepté de témoigner. Si je les connaissais, nous n’avions certainement majoritairement peu évoqué ce type de sujets. Si nous ne nous connaissions pas, merci d’avoir osé témoigner avec autant d’authenticité, d’émotions, de matière intime.

Toutes et tous, vous avez osé. Merci et bravo.

A très vite pour le seconde épisode de cette étude !