Cet article fait suite à la table-ronde organisée par @l’éducateur spécial lisez (travailleur social et auteur) le samedi 16 mai. Il m’a été proposé d’intervenir concernant les métiers du care, leur forte représentation féminine, et l’importance de sortir des « métiers de genre ».

femme éthique du care - blog penser l'égalité

Historiquement les métiers du soin et de l’accompagnement étaient dévolus aux femmes.

Depuis 1945 et la création du métier d’éducateur spécialisé, les hommes ont obtenu une place -même si elle concernait initialement l’Education surveillée.

A l’heure du déconfinement, et alors qu’enflent les polémiques autour de la place des femmes dans le monde du travail, qu’en est-il « chez nous » dans le travail social et comment, à ce sujet-là aussi, penser l’avenir vers plus d’égalité?

Commençons par quelques chiffres, qui nous permettront de donner dimension à une réalité objective au-delà de toute notion de militantisme :

  • En France, il y a 52% de femmes
  • 70% des pauvres en France sont des femmes

Actuellement, seuls 17% des métiers sont mixtes

  • Une profession est considérée comme mixte, lorsque les hommes et les femmes représentent une part comprise entre 40 et 60% de ses effectifs. Sur 87 familles professionnelles, seules 13 sont mixtes donc
  • Tous métiers confondus, les femmes représentent moins de 35% des cadres
  • Aides à domicile et aides ménagers et assistants maternels  97,7%
  • Aides-soignants % 90,4
  • Infirmières, sages-femmes 87,7%
  • Secrétaires 97,6%
  • Employés de maison %94,3
  • 9 travailleurs sociaux sur 10 sont des femmes

On voit donc bien la forte proportion de femmes dans les métiers du care.

Qu’est-ce que le care, le travail du care ?

C’est initialement le fruit de la réflexion essentialiste du psychologue Lawrence Kohlberg dans les années 1950, qui considère les femmes plus à même de prendre soin de l’autre, et d’en faire un métier.

Il faut le dire, l’égalité ne se décrète pas, elle se construit. De même que dans tous les pans de la société on retrouvera du sexisme au sens initial du terme, c’est-à-dire une assignation des rôles, et donc des droits, par le genre, on le retrouve dans les métiers du care. Et cela provint de notre histoire professionnelle, mais aussi de l’interprétation, alors même que les métiers du care existent, de la part d’observateurs eux-mêmes sexistes.

Prendre soin de l’autre serait naturel, découlerait de cette notion dont on sait désormais qu’elle est fausse : l’instinct maternel.

Les femmes sont postées et reléguées à ces métiers proches de l’Autre, où elles se penchent sur celui/celle qui a besoin parce que depuis des générations elles sont considérées comme ayant des qualités, de par leur genre, pour le faire.

Or, cette notion de psychologie sera revisitée par la politologue Joan Tronto dans les années 1970. Celle-ci va faire sortir le care d’une notion tout féminine, et de la psychologie, en l’appliquant à des questions sociétales beaucoup plus larges et surtout en déconstruisant cette vision essentialiste de la femme plus disposée que l’homme à la « morale du soin ».

Dans la dévalorisation des métiers du care et leur prise en charge par les femmes et les classes défavorisées, Joan Tronto voit surtout l’œuvre d’un fort conditionnement permettant de voir ces tâches difficiles comme le simple prolongement du travail domestique. Son point de vue peut représenter une piste intéressante pour le travail social tel qu’il souhaite se réinventer à l’heure de la crise du COVID;

Pourquoi le terme de Care a-t-il été gardé ?

Ce terme a été gardé, certainement parce qu’il n’est pas facile à traduire en français vu la complexité de ses sens. Si on le traduit simplement par « soin », on oublie les dimensions théoriques, ne laissant que la pratique. On oublie aussi la notion de médiation, au profit d’un côté purement curatif.

Il s’agit d’entendre le care comme un ensemble d’activités permanentes et quotidiennes qu’on appelle aussi désormais « éthique du care », cette pratique correspondant à la dimension concrète du souci de l’autre.

Joan Tronto décrit d’ailleurs quatre phases dans le care, chacune nécessaire :

  • Le « caring about » met l’accent sur l’attention pour reconnaître un besoin
  • Le « taking care of » est le fait d’assumer la responsabilité de prendre en charge ce besoin
  • Le « care-giving », le fait de prodiguer concrètement avec compétence un soin ;
  • Le « care-receiving » qui offre une capacité de réponse à la personne concernée

On retrouve bien ces quatre phases dans le travail social.

Care = femmes : des exemples au quotidien

Quotidiennement durant le confinement, nous avons pu constater à quel point les femmes, tout en étant les plus présentes dans les métiers du care, en sont aussi les moins représentées et visibles. A l’heure où enfle la polémique autour de la reconnaissance des personnel.le.s soignant.e.s, le gouvernement twitte, écrit et commente toujours au masculin. On parle des soignants, des pompiers, des médecins.

A la télévision sur les chaines d’information, les métiers sont genrés : on entend parler d’un médecin et d’une aide-soignante. Rappelons qu’il y a en France actuellement une part à peu près égales de médecins et de médecines (j’ai fait le choix d’utiliser ce terme, usité pour les femmes soignantes avant l’invention de l’Académie française).

La plupart des métiers connaissent un accord en nombre, mais pas en genre : que deviendra une petite fille qui veut être pompière ? Le masculin a toujours été employé comme le genre neutre, le genre du monde. Il ne concerne pourtant pas 51% de la population mondiale, à fortiori il exclut 52% de la population française.

Pour tenir un propos plus large, on notera que depuis 1945, plus d’une vingtaine de lois ou de modifications de lois sont censées apporter plus de droits aux femmes, s’agissant de tous les pans de leur vie en France. Elles créent ou ouvrent des droits et, par là même, proposent des sanctions possibles pour tout contrevenant. Elles portent toutes des noms avec le terme « égalité », ce qui n’est pas anodin. Il a pourtant fallu que le président de la république française actuellement en exercice décrète l’égalité femmes/hommes comme Grande cause de son quinquennat.

Ceci étant, la situation a évolué bien sûr fortement en un siècle. Cependant, beaucoup l’avancent comme étendard en préalable à toute discussion, amenant un impossible de la pensée et de la critique.

Personne ne dira le contraire de façon absolue. Bien sûr, la situation a évolué de façon générale. Les femmes ont obtenu des droits, commencent à prendre de la place. Et pourtant, dans le quotidien, si bien sûr elles travaillent elles aussi, parfois même sur un plus gros volume horaire que leurs conjoints, elles portent, comme nous l’avons vu, la plus grande part du ménage. Elle portent aussi les métiers penchés, littéralement comme symboliquement vers l’Autre.

Qu’en est-il dans l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) ?

Au risque de passer pour un peu provocatrice, je me suis penchée aussi sur l’économie sociale et solidaire, dont on peut tout de même remarquer, en passant, que le premier mot de cette expression n’est ni « social », ni « solidaire ». Généralement montrée comme exemplaire par les technocrates du social qui fleurissent, il s’avère que celle-ci ne l’est pas, au moins sur le point de l’égalité entre femmes et hommes.

Une étude parue, produite par l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes dans l’ESS au Conseil national des chambres régionales de l’ESS (CNCRESS).

On y constate un recours important, pour les femmes, au temps partiel (41% là où dans la population générale on est à 30%). De la même façon, le plafond de verre est plus important dans l’ESS que dans les autres types d’économie, puisqu’on y comptabilise 13 % de femmes cadres contre 22 % des hommes. Une femme a donc deux fois moins de chances qu’un homme d’être cadre dans l’ESS, alors qu’elles sont majoritaires en proportion générale. Dans ce secteur, nous constatons également un emploi des femmes fortement polarisé sur un petit nombre de métiers : 11 % des femmes y sont ainsi aides à domicile.

Bien sûr (et il est fort dérangeant de devoir le dire ainsi), l’ESS a aussi une forte problématiques de salaires peu élevés, de faible valorisation sociale, de très nombreux contrats précaires ainsi que de maladies professionnelles fréquentes.

Et plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes

Elles sont seulement 37 % à la tête des structures. Un chiffre qui évolue selon leur taille : plus la structure est grande, et moins il y a de femmes présidentes. Ainsi, on comptabilise seulement 27 % de femmes présidentes de fédérations.

Il est par ailleurs évident qu’il y a une répartition et une valorisation différenciées des rôles entre les femmes et les hommes dans l’ESS.

C’est notamment visible lors des conseils d’administration : les femmes y prennent moins la parole que les hommes, et elles sont davantage en charge des tâches logistiques (préparation et rangement de la salle, prise de notes…).

Conclusion 

Ce qui est important, dans nos métiers dits féminisés, c’est de sortir du déni dans lequel nous nous trouvons en nous persuadant que s’il y a plus de femmes donc c’est plus égalitaire.

Ça ne fonctionne pas ainsi et la réalité nous démontre qu’en pensant de cette façon, non seulement on ne règle pas le problème de société de fond, mais on perpétue cette essentialisation qui consiste à dire que le care, c’est une affaire de femmes.

On perpétue par là-même le continuum hiérarchisé des positions sociales par le genre

Car, on le constate fortement : dans un groupe de métiers dit féminins, les hommes, non plus par leur nombre mais par leur simple genre, ont là encore plus de chances que les femmes d’accéder à ce que l’on peut résumer comme le pouvoir.

Les femmes encore et toujours expertes du « faire » et non de la gestion, de l’organisation, ni de l’encadrement d’équipes.

La situation relève de questions de société sur la place des femmes et des hommes. Énormément de stéréotypes subsistent sur ces sujets, et on a tôt fait de prendre un exemple et de le généraliser – ce qui, on le sait dans le travail social, ne permet pas une réflexion globale de qualité.

Les enjeux de l’organisation du travail social, pour sortir de l’essentialisation parce qu’ils permettraient de sortir les femmes de ce carcan, et de permettre aux hommes d’y tenir une plus grande part, bref, de proposer plus d’égalité pour chacune et chacun.

L’égalité entre femmes et hommes, qui conduirait immanquablement à une plus forte proportion d’hommes dans les métiers dits du care au sens large du terme, n’apparaitra pas magiquement.

Au final, cet enjeu d’égalité au sein du travail social pour les personnes que nous accompagnons, ne devrait-il pas commencer par nous-mêmes, professionnelles du social ?

Je pense que si.