En début d’année 2021, j’ai été contactée par Marion Le Lay, apprenante au Brest Open Campus. Avec deux autres apprenants, elle souhaitait mettre en place une « Open conf’ » autour de la place des femmes dans le monde du travail.

Cette rencontre a été filmée et est disponible ICI.

Voilà la teneur de l’échange :

Question : Le milieu professionnel dans lequel vous évoluez est un milieu constitué surtout d’hommes ? De femmes ? ou est-ce un milieu plutôt mixte ?

En France, l’entrepreneuriat féminin représente :

36% du nombre total d’entrepreneurs avec de bons résultats puisque 73% des ces entreprises sont toujours en activité après 3 ans d’existence.

Je dirais donc que j’évolue dans un milieu plus masculin mais en train de changer petit à petit. De plus en plus, les femmes osent, surtout parce qu’elles voient d’autres le faire. Aujourd’hui lorsqu’on crée une entreprise on a aussi la possibilité d’intégrer rapidement des réseaux féminins qui nous permettent d’être soutenues face à certains freins comme les stéréotypes de genre, l’attitude des hommes face à une femme porteuse de projet ou cheffe d’entreprise, les inégalités d’accès aux capitaux, les contraintes familiales et l’organisation du quotidien. Ces freins s’ajoutent à ceux, traditionnels de la création d’entreprise.

Quels sont pour vous les points d’inégalité entre les hommes et les femmes aujourd’hui ?

Ce n’est pas « pour moi » car les questions que je traite ne sont pas une opinion mais une expertise. C’est un peu comme si on demandait à quelqu’un qui travaille autour de notions de robotique ou de pédagogie ce que sont « selon lui ou elle » des éléments techniques de son métier. Je ne m’aventure jamais dans des réflexions pseudo philosophiques ou autre.

En ce qui concerne les points d’inégalités, ils concernent la société dans son entièreté et tous les pans de la vie des filles et des femmes. Ils concernent aussi en réalité tout le monde. Je pense aux inégalités de santé ou concernant la co-parentalité qui touchent les femmes comme les hommes sur des points différents.

Cependant il faut reconnaitre qu’en société patriarcale, les femmes sont les championnes malheureusement en termes d’inégalités, qui traversent tous les pans de leurs vies depuis leur naissance jusqu’à leur décès : santé, place dans le monde, ouverture sur des métiers, formation, vie de femme et contrôle de son propre corps, travail, vie familiale et charge mentale, ressources, victimation, droits à la retraite, fin de vie.

Avez-vous remarqué un changement sur la considération de la femme dans le milieu professionnel ces 10 dernières années ?

D’abord, « la femme » est un terme impropre. Il n’y a pas un modèle de ce qu’est la femme, tout comme vous ne m’entendrez jamais dire « l’homme » car nous sommes toutes et tous des personnes multiples et très différentes, à ne pas mettre dans une case.

Evidemment j’ai constaté des petits changements. Mais il faut en faire largement plus et je ne suis pas adepte du « c’est déjà bien » que semble induire votre question. J’accompagne aujourd’hui des entreprises qui veulent bouger sur ce sujet, et c’est très bien. Mais l’immense majorité du monde du travail a encore beaucoup de progrès à faire, tout simplement parce que le monde du travail, de l’extérieur de la maison, reste codé homme. A nous toutes et tous ensemble de le faire bouger.

Pensez-vous être considérée professionnellement sur les mêmes bases que celles d’un homme ?

Absolument pas, et c’est le cas pour tout le monde, et dans tous les mondes du travail. En tant qu’indépendante, j’ai encore aujourd’hui moins de chances d’obtenir un prêt dans une banque que mes confrères et c’est ce qui fait que ma majorité des femmes qui entreprennent le font avec moins de 4000€ de budget de départ, moins de possibilités d’être visibilisée pour mon expertise, et je dois faire plus attention à la fois à ma tenue vestimentaire, ma façon de parler etc.

A moi de créer des lignes face à ces limites, ce que je fais quotidiennement en m’appuyant sur mes compétences ainsi que sur des personnes à l’aise avec ces questions. Comme par exemple via le Label Bretonne Influente que nous venons de développer avec Ninja Himbert, Charles Braine et Xavier Pierre.

Pensez-vous que le féminisme a un impact sur la considération de la femme aujourd’hui ?

Je vous donnerai juste un exemple : c’est par les mouvements féministes que les femmes ont obtenu des droits et c’est aussi par ceux-ci que des mots que nous utilisons entre nous depuis longtemps, sont devenus désormais des faits sociaux et sont utilisés par tout le monde comme la charge mentale, le féminicide etc.

Or on sait bien que ce qui ne peut être énoncé n’existe de fait, pas.

Le féminisme est-il un avantage ou un détracteur pour la cause féminine ?

Définissons ce qu’est le féminisme : le féminisme est l’action et l’engagement par lesquels une personne soutient, défend et fait avancer les droits et la place des femmes. Il ne s’agit pas de retirer quoi que ce soit à qui que ce soit, mais de proposer une juste égalité.

Il ne peut donc être qu’un avantage évidemment, puisque le féminisme, c’est le travail autour de la « cause des femmes » pour reprendre vos mots. Et bien souvent quand on n’a aucun argument à nous opposer, on dira que l’on « dessert notre cause », comme si les personnes qui disaient ça y connaissaient quoi que ce soit ou comme si ces personnes avaient une quelconque expertise qui leur permettait d’être légitime à dire ce que nous, femmes et hommes engagés à ce sujet, devrions faire. Je ne viens pas dire aux autres ce qu’ils devraient faire pour eux-mêmes, j’attends donc à minima, s’ils ne s’intéressent pas à mes réalités, qu’ils se taisent. J’ajouterais un dernier point concernant le mot de « cause », il est souvent évoqué pour parler d’une minorité agissante, invisible et qu’il s’agirait de « défendre ». Or les femmes ne sont pas une minorité, enfin, rappelons que nous représentons tout de même 52% de la population française et 51% de la population mondiale…

Pensez-vous que la société tende vers le matriarcal ou vers une société d’égalité homme/femme ?

S’il s’agit comme la définition officielle le prévoit d’une société au sein de laquelle les femmes tiennent une place prépondérante, alors nous en sommes très loin. Sauf que bien souvent, on parle de matriarcat comme en miroir, ou en versus du patriarcat. Et donc comme un système de domination par les femmes plutôt que par les hommes.

Ce n’est absolument pas la définition du terme et ça montre encore une fois que l’on construit les choses par les extrêmes et par l’idée qu’il faut que quelqu’un domine un ou une autre, ce qui n’est pas le propos de la recherche d’égalité.

Quant à penser que nous tendrions actuellement vers une société d’égalité, j’ose croire que le travail est en cours, je prends d’ailleurs très largement ma part tant de façon professionnelle que dans ma vie personnelle, notamment en accompagnant des entreprises, mais aussi des groupes de femmes et des groupes d’hommes sur ces sujets, en soutenant le principe d’égalité pour toutes et tous quelles que soient nos caractéristiques qui pourraient conduire à des discriminations.

Quelles actions mettez-vous en place pour défendre l’égalité homme/femme au quotidien ?

Au-délà de mon métier vous voulez dire ? Car c’est la base de mon métier aujourd’hui de rendre les questions d’égalité accessibles à toutes et tous. Je le fais en entreprises, dans les écoles, auprès de centres sociaux, c’est dans ce cas que nous prenons du temps ensemble ce soir, etc.

Eh bien dans ma vie de femme, je m’applique à rassembler autour de moi des femmes et des hommes, que je mets en réseau ensuite ou qui me deviennent proches, avec lesquels j’ai une communauté d’idée. Et ils sont de plus en plus nombreux car parler de solidarité et de sororité, dans un monde comme le nôtre, ça porte vraiment. Je crois à la notion de role-modèle, c’est-à-dire à la création d’aires d’influences pour penser ensemble, se détricoter et réfléchir. Car nous avons toutes et tous des stéréotypes, et notamment des stéréotypes de genre.

En tant que citoyenne, je suis conseillère municipale dans mon village où je m’engage fortement. Je crée et accompagne actuellement par ailleurs plusieurs projets d’espaces de coworking afin que des pros, salariés, indépendants et porteurs de projets, puissent trouver un espace en ruralité.

Et ça aussi c’est une question d’égalité, femme et homme bien sûr mais aussi de façon plus globale encore. Beaucoup de femmes ne se lancent pas dans l’entrepreneuriat pour plein de raisons et créer ce type d’espace, c’est aussi leur donner du champ.

En tant que personne, je sais désormais que je suis une role-modèle car j’accompagne des femmes à oser plus et elles me le disent, des hommes à penser la notion de privilège et la place qu’ils peuvent prendre. J’accompagne tout le monde pour peu qu’il ou elle souhaite penser ces questions et les différentes transitions en cours.

En tant que cheffe d’entreprise, évidemment il y a le cœur de mon entreprise mais c’est bien plus que ça : j’ai co-créé un label avec trois collègues comme je disais tout à l’heure pour contribuer à visibiliser des femmes géniales, des bretonnes, qu’elles soient salariées ou indépendantes. Ça fait partie de mon métier aujourd’hui, mais aussi mon engagement, et pour ça il faut un système de coopération, un maximum de mixité, et de l’inventivité.

Vous avez choisi l’égalité homme/femme comme cause à défendre. Que pensez-vous des autres inégalités peu médiatisées ? seriez-vous militante pour un nouveau combat ?

D’abord rappelons que c’est un sujet transversal en termes de lutte.

Je suis militante par nature, envers toutes les inégalités, comme on peut le constater dans mon travail et dans tout ce que je fais au quotidien.

Pour ma part, je ne peux pas tout faire, je m’engage à faire bien ce que je fais et à prendre ma part. vous noterez que je n’ai amené ni collant ni cape, je ne suis pas une héroïne et les journées font 24h.

J’invite donc les autres à faire de même, sur les sujets qui leur tiennent à cœur, et le monde sera déjà bien plus beau. Mon rôle n’est pas de porter seule des réalités que je n’active pas moi-même et dont je ne suis pas responsable. Nous avons toutes et tous notre part à prendre !