On va dire que je suis de mauvaise foi. Que créer une galette des reines c’est quand même la preuve qu’on s’essaye à l’inclusivité. Enfin Egaluce, qu’est-ce qui te prend, t’es de mauvaise humeur, ton noël s’est mal passé ?
Reprenons.
Commençons par poser là deux concepts sacrément importants et que tout le monde ne connait peut-être pas :
Est-ce là du #femwashing ?
Oui.
Est-ce là un renforcement des stéréotypes de genre ?
Oui aussi
Mais en quoi alors, me direz-vous ?
D’abord, comme toujours lorsque j’évoque un sujet, il en va de ma crédibilité de m’appuyer sur d’autres expertes, notamment académiques.
Je m’appuie donc ici Léa Lejeune, autrice de Féminisme washing: quand les entreprises récupèrent la cause des femmes (éditions Seuil, 2021)
Vous verrez plus loin que ce livre est important car lorsqu’on le lit, on chausse les lunettes non seulement du genre, mais de la façon dont le marketing peut parfois salir jusqu’à la meilleure idée du monde. Et qu’en tant qu’engagée, on a le droit de se faire avoir au début, puis d’y repenser, de s’appuyer sur des personnes plus avancées, et de finir par retrouver de quoi rester dans l’éco-féminisme tel que nous le portons par exemple avec Ronja Nielsen, dirigeante de Bag Affair France (lien vers le site). Si nous avons pris la peine de créer un agenda 2022 spécialement conçu pour les femmes et leurs vies multiples, qui soit réalisé à 20 kilomètres de chez nous avec des papiers certifiés et des encres véganes, vous vous doutez bien que nous devons rester cohérentes.
Petite histoire de l’épiphanie
Si comme moi pendant longtemps vous avez pris plaisir à manger une galette sans trop chercher pour quelles raisons on avait cette pratique, voilà une courte séance de rattrapage : au départ, la galette remonte, pense-t-on aux Romains qui fêtaient les Saturnales. On peut parler d’une période de trêve, notamment dans le système esclavagiste romain, durant lequel on partageait des repas et on glissait une fève dans le gâteau.
Se mêle à cette tradition celle du catholicisme et de l’Epiphanie, comprenez cette nuit où les Rois mages auraient apporté des présents bien connus dans la crèche de l’Enfant Jésus. Si si, les rois Mages, vous savez, ceux dont on se rappelle toujours le nom de Melchior et Balthazar mais comment s’appelle le dernier déjà ? Ah oui, Gaspard !
En France on partage la galette depuis le XIVe siècle tout de même avec une spécificité : une part pour chaque personne présente, et une part supplémentaire dite part du pauvre. D’un territoire à l’autre, on la fourre et la parfume différemment, et selon les époques la fève est d’abord un enfant Jesus, et désormais cela peut avoir toutes les formes possibles.
Une tradition très présente en France
Un sondage Ifop pour la Fédération des entreprises de boulangerie en 2019 nous indique que 94% de la population française mange de la galette au moins une fois. 74% de la population en mange quant à elle plusieurs fois en janvier.
Après le marathon de Noël, pour beaucoup, c’est le marathon de la galette !
Pour les commerçants, c’est en tout cas un joli moment : le jour des rois dure en moyenne six semaines pour eux. La hausse de leur CA (chiffre d’affaires) peut atteindre 40% par rapport aux autres mois de l’année, du fait de la vente de 30 millions de galettes vendues chaque année en France en moyenne.
2022 ou la galette des reines
Le principe du femwashing c’est que non seulement ça ne coûte rien, mais que ça doit rapporter gros. Combien sommes-nous a nous être ruées sur les tshirt à message féministe depuis cinq ou six ans ? Combien sommes-nous à acheter du maquillage parce qu’il est porté par une femme connue que nous admirons pour ses propos ou ses actes engagés ?
Sauf que.
Oui, il y a un énorme « mais ». Les marketeurs s’en fichent, de notre éthique de vie. Leur seule recherche, c’est de vendre !
Et ce, par tous les moyens. Je vois déjà le nombre de tables de fêtes sur lesquelles on déposera la galette des reines de Picard ou de Conticini, déposée par une personne bien intentionnée qui dira à l’identifiée « féministe de service » : t’as vu on a pris une galette des reines cette année.
Super, Ginette / Jean-Pierre (utilisez le prénom que vous voulez) mais le sujet de fond n’est clairement pas celui-ci! D’autant que si on regarde ces deux galettes, elles sentent peut-être la poudre d’amande mais elles puent le féminisme washing. Celle de Picard est rose (évidemment !), aux pralines et à la framboise (des goûts si féminins, n’est-ce pas !). Je ne rappellerai pas ici sa description et les éléments de com qui entourent la sortie de ce produit, ils sont du même acabit.
Quant à celle de Conticini bon, à 44€, il fallait bien qu’elle ait un « truc en plus » n’est-ce pas ! Eh bien ce sera un bijou. Ben oui car les femmes adorent les bijoux enfin, vous ne le saviez pas ?
Achetez cher, mais achetez beau (c’est si féminin) et utile : une partie des fonds (combien, on ne sait pas) est reversée à une ONG qui soutient l’indépendance des femmes au Maroc. Et ça chez nous, on adore : consommation et surconsommation sont toujours possibles si on règle la petite culpabilité engendrée par la sensation de faire le bien dans le monde…
Aussi chez Egaluce, la galette des reines, on dit « pourquoi pas » dans l’idée. C »’est intéressant, ça peut être inclusif peut-être.
Mais on dit surtout : mangez ce qui vous plait, c’est ça la vraie fête ! Et quand la galette sera terminée, retrouvons-nous pour, ensemble, créer l’égalité, la vraie !